Je livre dans cet article une fiche de lecture réalisée sur le livre de Bryan E. Robinson : « Chained to the desk« . Livre qui traite de l’addiction au travail : le workaholisme.
« Rien ne remplit le vide aussi bien que le travail. Rien n’est aussi addictif, aussi bien accepté et récompensé par la société » (p60).
1. Le Workaholisme : de quoi parle-t-on ?
Le workaholisme est une addiction. Il partage d’ailleurs un certain nombre de points communs avec l’alcoolisme tant dans l’effet recherché que dans ses conséquences familiales.
Il se traduit par un besoin compulsif de travailler engendrant une phase d’euphorie liée à l’adrénaline générée par l’activité de travail, suivie d’une phase de dépression. L’engagement total dans le travail permet également de mettre à distance un certain nombre d’émotions douloureuses (anxiété, ennui, tristesse, frustration) tout en développant l’estime de soi.
Le rapport au travail du workaholique est lié à un besoin interne : recherche d’adrénaline, reconnaissance et mise à distance des émotions douloureuses. Il se distingue de celui du gros travailleur qui répond lui à des demandes externes (en ergonomie on dirait, qu’il répond aux prescriptions de l’organisation).
Pour l’association américaine de psychiatrie, le workaholisme serait un symptôme des troubles de la personnalité obsessionnelle et compulsive.
Sur le plan social, et contrairement à l’alcoolisme, le workaholisme est valorisé. Il est en effet associé au courage, à la réussite professionnelle et à l’accomplissement personnel. Pour ces raisons, il existerait d’après l’auteur, une résistance du champ social et des professionnels de santé à considérer le workaholisme comme une addiction.
2. L’enfance des workaholiques
Les addicts au travail ont généralement grandi dans des familles dysfonctionnelles (alcoolisme, troubles de l’humeur), fonctionnant avec des règles oppressantes et dans lesquelles l’injonction à faire plutôt qu’à être était présente.
Ils peuvent aussi avoir été « parentifiés » ou appartenir à des populations rejetées socialement comme les homosexuels.
Dans ces contextes, ils n’ont pu bénéficier d’un attachement sécure, ni exprimer leurs sentiments.
Au global, l’impression de ne pas avoir eu d’enfance est présente dans le vécu des workaholiques. Leurs besoins fondamentaux (émotionnels, physiques, financiers) n’ont pas été respectés, les obligeant à les prendre en charge par eux-même.
En réponse à ces conditions de vie, les enfants concernés ont développé le sentiment d’être inadaptés, inférieurs, sans valeur et non aimables. La honte de leur famille est régulièrement présente dans leur discours.
La recherche de contrôle sur les gens et sur les situations les aident à survivre psychologiquement et physiquement.
Les limites de leur « territoire » sont cependant trop minces ou trop floues pour les protéger (« Ils prétendent que tout est OK quand ça ne l’est pas et ne parlent pas de leurs sentiments »).
Aussi, le travail et la reconnaissance qu’il apporte, apparait pour eux comme un moyen de se sécuriser, de prouver leur valeur au monde et d’obtenir l’amour de leurs parents.
3. La psychologie des workaholiques
Comme nous venons de le voir, le profil psychologique des workaholiques est fragile : sentiment de vide, faible estime de soi, anxiété …
Le travail vient donc combler ces fragilités en leur fournissant une identité, du sens, de la reconnaissance et un sentiment de sécurité. Il vise également à mettre à distance leurs douleurs émotionnelles (comme le font les alcooliques).
A l’instar des alcooliques, les workaholiques possèdent ce que l’auteur appelle « une pensée rigide » (c’est blanc ou c’est noir) dans laquelle le travail est « tout » et leurs propres besoins sont absents.
L’auteur décrit cinq types de workaholiques :
- celui qui travaille de façon compulsive et constamment (jour, nuit, pendant les vacances, le week-end…) ;
- celui qui alterne les phases de travail frénétique avec des phases d’inertie et de procrastination ;
- celui qui s’ennuie, manque d’attention et cherche à se stimuler, par exemple en créant artificiellement des crises ;
- celui qui est lent et méthodique, lui permettant d’atteindre le niveau de perfection souhaité ;
- celui qui cherche à être responsable des autres et à prendre en charge une partie de leur travail, quitte à dégrader sa propre situation de travail.
Ces différentes formes de workaholisme ont en commun la recherche du pic d’adrénaline qui permet aux workaholiques de combler le vide qu’ils ont en eux, notamment en surchargeant leur emploi du temps. En effet, l’hyperactivité les stabilise et leur sert de « tuteur» émotionnel, masquant notamment leur anxiété et leur dépression, tout en en fournissant le sentiment de contrôle dont ils ont besoin.
4. Le workaholique en dehors de son travail
Le workaholique est marié avec son travail et va rechercher toutes les occasions de travailler ; certains se cachent d’ailleurs pendant les vacances pour se faire un « fix » de travail .
En dehors de son périmètre de prédilection, la vie lui est plus compliquée car il ne sait pas quoi faire ni comment se comporter. Aussi, il peut être mis en difficulté dans les sphères familiales et sociales.
Ses relations intimes, qu’elles soient amoureuses, familiales ou amicales sont freinées par la distance qu’il met avec les autres pour se protéger, notamment grâce à son travail.
Chez le conjoint du workaholique prédomine un sentiment de solitude et d’échec permanent : toute la vie familiale est en effet tournée autour du travail de ce dernier. Cependant, si les conjoints d’alcooliques parviennent facilement à trouver du soutien ; ce n’est pas le cas dans cette situation. L’environnement social et familial met surtout en avant en effet le courage du travailleur et les bénéfices matériels obtenus par cet investissement hors norme. Par contre, il peine à comprendre les difficultés quotidiennes réelles de la situation et le vécu dégradé des conjoints.
Les enfants des workaholiques développent quant à eux des troubles similaires à ceux des enfants d’alcooliques : faible estime de soi, dépression, anxiété, recherche de contrôle.
Ils ont le sentiment que l’amour parental est lié à leur niveau de perfection et de performance ; et que leur valeur est déterminée par ce qu’ils accomplissent.
Face à cet environnement exigeant et peu disponible, ils perdent le contact avec leur intériorité et cherchent à s’y adapter en se conformant à ses attentes.
5. Le Workaholic au bureau
Au niveau de l’entreprise la situation des workaholiques est assez paradoxale. L’organisation les considère comme des individus performants et a tendance à les reconnaître et à les promouvoir. Aussi on retrouverait dans les hautes sphères de l’organisation de nombreux workaholiques.
Cependant, d’après l’auteur, ils ne seraient pas aussi performants que leurs heures de travail nombreuses le laisseraient supposer. De plus, leur créativité et leur imagination seraient faibles.
En tant que manager, en raison de leur propre insécurité, ils éprouvent beaucoup de difficultés à valoriser le travail de leurs collaborateurs. Ils privilégient l’intimidation et la pression au détriment du soutien. Aussi leurs collaborateurs peinent à trouver un équilibre à leur contact.
6. Sortir du Workaholisme
Le traitement de l’addiction au travail présente une singularité : l’abstinence totale n’est pas possible, puisque sauf exception il faut travailler pour vivre.
Aussi, il est recommandé au workaholique de borner son investissement au travail et de développer les autres pans de la vie (social, familial, hobbies). L’objectif est pour lui de trouver un équilibre entre ses limites, ses besoins primaires (se reposer, prendre soin de lui), son développement individuel hors travail et ses exigences professionnelles.
Sur le plan thérapeutique, un travail de deuil sur l’enfance perdue peut être engagé, ainsi que des actions visant à réduire le niveau d’anxiété et de stress (manger lentement, réaliser des activités manuelles, marcher, se relaxer). Les groupes de paroles comme les « workaholiques anonymes » peuvent également être investis.
Plus globalement, c’est du « prendre soi de soi » dont il question.